Le Comte André Gervais d’Aldin, lépidoptériste né à Senlis
Roger PUFF
L’Agrion de l’Oise - 1 rue d’Halatte - 60550 Pont-Sainte-Maxence - lagriondeloise@orange.fr
Mots clés : insectes, lépidoptères, entomologistes de l’Oise, Gervais d’Aldin, Louis Dufay
C’est Jean-Claude Bocquillon, lépidoptériste, vice-président de l’Association des
Entomologistes de Picardie (ADEP), qui m’a orienté vers le Comte d’Aldin. Les travaux de ce
dernier, datant de 1929, étaient utilisés dans des études comparant la faune actuelle des
papillons de l’Oise avec celle du début du 20e siècle. En 2000, Antoine Lévêque le citait à
propos du Flambé (Iphiclides podalirius) dans son article "Quel avenir pour les Papilionidés
picards ?", paru dans Insectes n°11 (OPIE), traitant du Flambé et du Machaon. Le Comte
d'Aldin donnait l'espèce pour présente dans l'Oise en mai et août, mais assez rare, observée
en forêt de Chantilly, Pont-Sainte-Maxence, Compiègne, Noyon, Gouvieux et Trie. En 2005, il
le citait encore à propos de Scopula umbelaria (Acidalie des ombelles) dans son article "Liste
inventaire des macro-hétérocères de Picardie – partie 2 – Geometrida (Lepidoptera)" paru
dans L’Entomologiste Picard n°19 de décembre 2009.
Le document de référence était l’article de 1929, dans Lepidoptera cité par Antoine Lévêque
et Maurice Duquef. Après y avoir eu accès par fragments, j’en ai eu le texte complet grâce à
Claire Villemant qui m’a ouvert la porte de Jocelyne Guglielmi, la bibliothécaire du
Département Entomologie du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN). Je les remercie.
Mais qui était le Comte d’Aldin, auteur de ce document, aujourd’hui bien utile pour se rendre
compte de la dégradation, près d’un siècle plus tard, de la faune des papillons de notre région?
Enfance et jeunesse d’un lépidoptériste
Il s’agit du Comte Marie André Gervais d’Aldin. Aux Archives de Paris, on trouve l’acte de
mariage de ses parents en 1877 : Marie Félix Gervais d’Aldin, ancien avocat général, et Marie
Louise Rosalie Geneviève Seguin de la Salle. Son grand-père, Antoine Augustin Gervais, né
en 1788 à Saint-Chély-d’Apcher en Lozère, avait obtenu en 1848, par décret présidentiel, de
pouvoir associer les noms de ses parents Jean Gervais, avocat au Parlement, et Marie Anne
d’Aldin.
Marie André nait à Senlis le 16 juillet 1884, trois ans après son frère aîné Marie Roger, au 2
place de la Cathédrale à Senlis, une maison très remarquable, construite au 16ème siècle, de
style Renaissance, ancien Hôtel du Chanoine Pierre Desprez, appelé aussi Maison du
Chevalier.
Son oncle Ferdinand Gervais d’Aldin, juge d’instruction à Péronne, membre depuis 1859 de la
Société Entomologique de France (SEF), amateur de coléoptères et de lépidoptères, vient de
décéder à Péronne fin mars. Il avait publié quelques articles, notamment, en 1862, une
communication à la SEF préconisant de substituer la gomme arabique par du sulfate de
potasse pour fixer les insectes sur carton ou mica.
Avec Roger, son frère aîné, André fait ses études secondaires à l’Institut Saint-Vincent de
Senlis. Très jeune, il s’intéresse aux insectes, tout particulièrement aux papillons. Les
communications qu’il fera plus tard à la SEF nous apprennent qu’il fera souvent des
observations dans divers lieux de la Vienne, où il va certainement en villégiature à Sommièresdu-
Clain, dans la famille de sa mère. Par exemple en septembre 1901, à 17 ans, il observe à
Sommières Rhodocera rhamni (Gonepteryx rhamni, le Citron).
Nous savons par une communication à la SEF en février 1915, qu’il capture fin avril 1903 -
aux lampes électriques de la gare de Chantilly - une aberration de Xylena vetusta (l’Antique).
Il va la dédier à un ami "en témoignage d’affectueuse collaboration" sous Calocampa vetusta
Hb. ab Dufayi ab. Ald. Cet ami est Louis Dufay, qu’il qualifie alors de l’un des plus actifs
collaborateurs du futur catalogue des lépidoptères de l’Oise. Louis Dufay (1874-1936) est
lépidoptériste, peintre et surtout pionnier de la photo et du cinéma en couleurs. Il est à cette
époque chez Guilleminot à Chantilly, où il invente le Dioptichrome, puis le Dufaycolor et enfin
l'Héliophore, procédé qui sera utilisé par Henri-Georges Clouzot pour son film inachevé L’Enfer
avec Romy Schneider et Serge Reggiani, tourné en 1964. Je n’ai pas trouvé de relation
familiale avec le lyonnais Claude Dufay (1926-2001), qui a travaillé sur des thèmes concernant
notamment les réactions à la lumière des lépidoptères nocturnes.
Alors qu’il habite toujours place de la Cathédrale à Senlis, il est admis comme "assistant" à la
SEF, parrainé par Léon Fairmaire et Charles Alluaud. Dans le même temps, il est déclaré apte
au service militaire, mais étant étudiant en sciences, il est ajourné. Il est incorporé en octobre
1905, mais réformé en décembre pour myopie supérieure à 6 dioptries. En 1906, il est admis
à la SEF sur sa demande comme membre définitif (Coléoptères et Lépidoptères).
En 1907 et 1908, licencié ès-sciences naturelles, il participe à la vie senlisienne où il donne
trois conférences que Le Courrier de l’Oise annonce : Les Animaux des grands fonds de la
mer (avec projection de clichés du Prince de Monaco), Les Déguisements et les travestis chez
les animaux et Les volcans et les tremblements de terre.
Il fait part de captures début août 1907 aux marais de Saint-Martin-Longueau (marais de Sacy)
de deux espèces : Arsilonche albovenosa Goëze (Noctuelle veineuse), qui n’était connue
qu’en Belgique, et l’aberration Sohesti Capronnier 1878 de Stilpnotia salicis L. (Liparis ou
Bombyx du saule). Il ne parle pas du Miroir (Heteropterus morpheus), qui aujourd’hui est un
des remarquables papillons des marais de Sacy. Son ouvrage de 1929 mentionnera ce
papillon, mais sans remarque particulière. Dans la Vienne il capture en septembre Episema
scoricea (une noctuelle) et Tephronia separia (Gymnospile commune).
En 1908, il publie son étude "Le dessin des ailes de lépidoptères" dans les Annales de
l’Association des Naturalistes de Levallois-Perret (ANLP). Il est admis à la Société Géologique
de France, présenté par Gustave Emile Haug et Joseph Blayac. Il intègre également la Société
de Géographie en 1909, parrainé par le Baron Etienne Hulot et Guillaume Grandidier.
En 1910, dans la Vienne, Gervais d’Aldin capture en août Agrotis rubi View. et, en septembre,
une aberration ab. Cinnus Hübner de Lycaena Corydon (signalés à la SEF en 1919). Le 28
avril il prend part au banquet annuel de la SEF. Le compte rendu nous dit qu’il a conté l’histoire
du Polyphilla de Guy de Maupassant en Sicile. L’annuaire de la SEF le donne alors pour élève
attaché au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN). Il fait paraitre une publication sur les
Diptères pupipares dans les Annales de la SEF, ainsi qu’en 1912 dans celles de l’ANLP.
En octobre 1911, il capture dans la Vienne trois spécimens de Trigonophora jodea Guen., une
noctuelle rare qui, "chassée à la miellée, cherche à fuir en remontant très rapidement le long
de l’arbre appâté."
En janvier 1912, il fait une communication "A propos de quelques Lépidoptères d’Andalousie".
C’est semble-t-il une étude bibliographique ; apparemment il n’y est pas allé. Il fait état de
captures dans l’Oise aux carrières de Montlévêque : Augiades comma (Hesperia comma, la
Virgule), Erebia medusa (Moiré franconien), qu’il propose de rechercher en terrain humide du
côté de la Nonette, ainsi que Lycaena Bellargus (Azuré bleu céleste), un spécimen de ce
dernier est aussi capturé dans un fond marécageux de la forêt d’Ermenonville.
Pendant la Guerre 14-18
La guerre éclate le 2 août 1914. N’étant pas mobilisé immédiatement, il séjourne à Jaillac en
Gironde où il capture Apopestes spectrum, le Spectre, et à Lizant dans la Vienne où il capture
une aberration tota caeca – aveugle - de Lycaena bellargus ab. Cinnides Hübn. (Azuré bleu
céleste). Reconnu apte au service auxiliaire en décembre 1914, il est appelé fin avril 1915 à
la 6ème section d’Infirmiers militaires, probablement à Compiègne. On le retrouve malade début
octobre 1916 et convalescent pour deux mois à Senlis, puis soigné pour pleurésie à l’Hôpital
mixte de Cholet fin décembre.
Il est à la 22ème Section d’Infirmiers fin mai 1917 (au 54e RI à Compiègne). A nouveau malade
aux armées en février 1918, il est en convalescence à l’Hôpital à Toulouse en avril - mai. Fin
octobre, il entre au Val de Grâce à Paris pour ictère catarrhal (hépatite A). Le 13 mars 1919 il
sera mis en congé illimité. Il signale à la SEF son changement d’adresse à Quinéville
(Manche).
Actes du 2ème Séminaire Entomologique des Hauts-de-France 2018
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Après-guerre
En 1920 le lépidoptériste Daniel Lucas lui dédie un papillon : Zygena hippocrepidis centralis
(Obthr) ab. Aldini n. ab. Alis salmoneis nec rubris, qu’il a capturé le 15 juillet 1915 au Plateau
Saint-Claude près de Mareuil (Oise). Daniel Lucas est un ancien élève de Polytechnique,
ancien officier d’artillerie, avocat à la Cour d’appel de Poitiers. En avril, sa mère décède à
Quineville à 68 ans, Le service religieux et l’inhumation auront lieu à Senlis, mais Gervais
d’Aldin n’y habite plus. Lorsqu’il est affecté en juin 1921 dans les réserves à la 2ème Section
d’infirmiers, il réside à Quinéville.
Dans une communication à la SEF en janvier 1921, Gervais d’Aldin contredit le Dr Roger Verity
qui considère Melitea aurelia Nick. comme une espèce nouvelle en France dans une
communication de 1920, à propos de spécimens de Melitaea non identifiés récoltés en juin
1915 à Moreuil (Oise) par le Commandant Daniel Lucas. Gervais d’Aldin fait état de ses
propres trouvailles en 1900 près de Senlis et fin juin 1913, au bois de la Vidamée près de
Senlis, début juin 1914 et mi-juin 1919. Il indique également que cette espèce se trouve
également en forêt de Chantilly (route du Connétable, près le Clos de la Table) et sur le Mont
de Pô à Lamorlaye, ajoutant que la collection du Muséum comprend également des spécimens
pris à Pierrefonds. Il s’agit donc bien d’une vieille espèce française.
Il épouse le 22 décembre 1923 à Bordeaux, Marie Raymonde Henriette Edwidge de Beaupoil
de Saint-Aulaire, d’une vieille famille de Dordogne ayant donné à la France quatre
ambassadeurs, un lieutenant-général des armées du roi, deux membres de l’Académie
française, trois évêques et un député. En 1923 le couple habite Bordeaux. On ne lui connait
pas de descendance.
A la session de la SEF de décembre 1926, Gervais d’Aldin présente "Deux intéressantes
captures de papillons à Capbreton : Alpium et Nymphæ". En novembre 1928 il est admis à la
Société linnéenne de Bordeaux, où il présente "Une géomètre nouvelle pour la Gironde",
publication dans laquelle on y apprend qu’il a acquis la collection Delavoie, conducteur des
ponts et chaussées de Rochefort, lépidoptériste réputé. On ne sait pas ce qu’il est advenu de
cette collection.
Matériaux pour servir à un catalogue…
C’est en 1929 qu’il publie l’ouvrage qui nous a motivé, "Matériaux pour servir à un catalogue
des macrolépidoptères du département de l'Oise" (Figure 1). Dans cet ouvrage, il fait en
introduction référence au catalogue "Les Papillons de l’Oise" de l’Abbé Pinart, lithographié en
1847, "dit méthodique", seul ouvrage - déjà introuvable à l’époque - sur les lépidoptères de
l’Oise. Ce travail renfermait 526 espèces, en fait d’après Gervais d’Aldin seulement 514 du fait
de doublons.
Quelques mots sur Désiré Hippolyte Pinart, né en 1806 dans la Somme. Ordonné prêtre en
1831, il sera professeur d’histoire naturelle au petit séminaire de Saint-Germer. Il aurait
possédé une collection d’insectes indigènes de tous les ordres. Membre de la SEF depuis
1834, il est co-fondateur en 1847 de la Société Académique de l’Oise, vice-président de la
section sciences naturelles. Il sera directeur "des bons livres" en 1852, vicaire de l’église Saint-
Etienne de Beauvais en 1869. Il est connu pour être l’auteur de nombreux ouvrages
théologiques et de prière, d’ouvrages classiques ou d’ouvrages traduits ou adaptés pour la
jeunesse : dans un but religieux et moral comme par exemple "Les Mille et une nuits (annoté
et soigneusement expurgé)". En revanche sa production entomologique est modeste. Il
décède en 1854 à Beauvais.
L’ouvrage décrit sur deux pages les principaux sites de collecte de l’Oise, puis compile en
trente pages les observations de Gervais d’Aldin et celles d’autres entomologiques : Alfred
Brugnon (Pont-Sainte-Maxence), Georges Catherine (Compiègne, Ermenonville), Louis Dufay
(Chantilly), déjà cité, de Labarrière (Trie-le-Ville), Gustave Poujade (Chantilly, Vaumoise),
Daniel Lucas (Crépy, Mareuil, Berneuil-sur-Aisne, etc.). Il est complété par une planche en
couleurs.
L’ouvrage dénombre 665 espèces, plus 43 variantes et 36 aberrations, appartenant à 8
familles de Rhopalocères (37 genres) et 24 familles d’Hétérocères (233 genres). Il mentionne
le nom de l’entomologiste, le lieu (localité mais aussi jardin, allée, marais, carrière, forêt,…),
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et le mois d’observation (pas l’année), quelquefois une ou plusieurs plantes hôtes, et par des
abréviations s’il s’agit de larves, de chenilles ou de chrysalides. Il précise le mode de capture
au filet, à la lumière, à la miellée, la génération (1ère ou 2ème), la rareté de Cc "très commun"
à RR "très rare". On ne s’étonnera pas que Pieris brassicaea (Piéride du chou) soit classée
Cc. Le nom de certains papillons a changé depuis cette époque, par ex. Argynnis lathonia,
classé RR par Gervais d’Aldin, est aujourd’hui appelé Issonia lathonia (Petit nacré).
Il précise que quand il mentionne L. Chantilly, il s’agit des lampes à arc de la gare qui, avant
la guerre, brûlaient toute la nuit. Depuis elles ne sont plus allumées qu’au passage des trains.
C’est surtout son ami Dufay qui y chassait. Une anecdote : il rapporte une "pluie de sang" à
Senlis au Moyen-âge due à l’éclosion en grand nombre de Vanessa urticae (Petite tortue ou
Vanesse de l’ortie).
En 1931, Gervais d’Aldin quitte Bordeaux pour s’installer non loin, à Caudéran. En 1933, il
publie à la SLB ses trouvailles en Dordogne. Il figure encore parmi les membres de la SEF en
1934, mais n’y sera plus ensuite. En 1940, la SLB nous le donne demeurant au château
Canteloup, un domaine viticole à Yvrac (Gironde).
Il s’éteint le 7 juin 1941 à Bordeaux à l’âge de 56 ans.
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